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La base UpToDate sauve-t-elle des vies ?

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Départ en intervention, par Mathieu Luna (publié sur Flickr sous licence Creative Commons Paternité, Pas d’utilisation commerciale, Partage à l’identique). 

Chaque année, la documentation électronique a ses points chauds. Ce ne sont pas tous les ans les mêmes, mais ce sont plus ou moins les mêmes partout. Aussi, avec la prétention à peine déguisée de tendre à l’universel par le particulier, vais-je opérer un plan rapproché sur un de nos petits volcans locaux. Pour une fois, je ne parlerai pas d’Elsevier, mais d’une ressource pratiquement inconnue des BU : UpToDate.

Qu’est-ce qu’UpToDate ? Une base de données factuelle en médecine très appréciée des praticiens. Rares sont les BU abonnées. Celle de Clermont l’est depuis deux ans par le biais d’un partenariat avec le CHU. Les statistiques de consultation à Clermont, modestes par rapport à celles d’autres bases, restent correctes :

  • 3419 consultations sur 39 semaines, soit par extrapolation 4560 pour l’année 2012

  • un coût moyen de consultation de 2,6 € en 2012 (par comparaison, le coût moyen de la grosse douzaine de bases de données auxquelles nous sommes abonnés est de 1,56 €).

Je ne songe pas à une simple seconde à dénigrer le contenu d’UpToDate ni son utilité. D’autres ont pu souligner ses limites potentielles, ce n’est pas mon propos. Cet outil vise, par le dépouillement de la littérature spécialisée, à fournir l’information médicale la plus à jour. Il présente un indéniable intérêt. Tout au plus peut-on observer

  1. qu’il est clairement destiné au praticien, non au chercheur (d’où sa rareté en BU)
  2. que son intérêt serait renforcé par la facilité d’y accéder, et qu’à cet égard les tarifs et taux d’inflation annuelle pratiqués ne sont pas un service rendu à la médecine hospitalière.

Car l’essentiel du problème, de l’étroit point de vue du bibliothécaire numérique, réside dans la manière dont l’outil est commercialisé par son éditeur (Wolters Kluwer). L’un de ses arguments phares est que les hôpitaux qui utilisent UpToDate connaîtraient une baisse de mortalité, baisse établie par une étude indépendante. Cet argument, quand je l’ai entendu, me paraissait relever d’un sous-entendu inquiétant que j’aurais traduit : « si vous n’avez pas cette base, vous ne faites pas tout ce que vous pourriez faire pour éviter la mort de vos patients. » Dans un pays où l’on publie annuellement le palmarès des hôpitaux et où les primes d’assurance des praticiens vont croissant, ce type de motivation pèse son poids d’ambiguïté. Mais enfin si les effets d’UpToDate sur la mortalité à l’hôpital étaient indiscutablement établis, il n’y avait rien à répliquer. Ne voulant pas en rester à une réaction de méfiance primaire, j’ai lu cette étude, parue en 2012 dans le Journal of Hospital Medicine (référence complète pour les curieux : Isaac, T., Zheng, J. and Jha, A. (2012), « Use of UpToDate and outcomes in US hospitals » Journal of Hospital Medicine. 7: 85–90 [doi: 10.1002/jhm.944 ])

Une étude indépendante

Nulle raison de remettre en cause ce travail : l’article signale que l’éditeur de la base UpToDate a financé l’étude mais n’a pas relu le manuscrit, ni n’y a eu accès avant sa publication. Quant au risque d’erreur statistique grossière, les méthodes décrites par les auteurs de l’article me paraissent, dans mon ignorance en la matière, avoir amené ce travail au point d’honnête incertitude où toute étude statistique sérieuse peut espérer parvenir. D’ailleurs les précautions oratoires entourant la présentation de leurs résultats sont extrêmes. Voici un résumé à grands traits.

Ont été étudiés les résultats (outcomes) obtenus concernant 6 pathologies précises (Infarctus [AMI], insuffisance cardiaque [CHF], hémorragie gastro-intestinale [GIH], pneumonie, AVC [Stroke], fracture de la hanche [Hip fracture]) dans

  • 1017 hôpitaux utilisant UpToDate
  • 2305 hôpitaux n’utilisant pas UpToDate

Les trois paramètres d’évaluation était : durée d’hospitalisation ; mortalité ajustée au risque ; qualité de soin (mesurée d’après une batterie d’indicateurs en vigueur aux USA).

Voici les résultats obtenus pour les pathologies considérées.

  • Durée d’hospitalisation : les résultats suggèrent une corrélation entre l’utilisation d’UtD et des hospitalisations plus courtes : en moyenne un gain de 0.1 à 0.3 jours.
  • Qualité de soin : La corrélation entre l’usage d’UtD et une amélioration semble statistiquement assez probante également aux yeux des chercheurs.
  • Entre les deux vient la question, forcément sensible, d’un impact sur la mortalité : en clair, la base UpToDate sauve-t-elle des vies ?

Je n’ai pas la prétention de répondre à cette question. L’étude non plus. Pour la moitié des pathologies considérées, le risque ajusté de mortalité diminue de façon statistiquement repérable (0,2 à 0,7 %) pour certains des hôpitaux utilisant UpToDate (nous verrons plus loin lesquels). Pour illustrer les incertitudes pesant sur ce résultat : pour l’une des pathologies considérées (fracture de la hanche), les résultats obtenus suggèrent un risque statistique augmenté de 0,2 %. Il serait absurde d’en inférer que l’usage d’UpToDate accroît le risque. Mais la présence de cette statistique aberrante invite à la prudence dans l’interprétation des autres résultats, comme les auteurs le relèvent avec justesse (p. 87, c’est moi qui souligne)

We found that hospitals with UpToDate had lower risk-adjusted 30-days mortality rates, although the effects here were less consistent.

Nous avons trouvé que les hôpitaux utilisant UpToDate ont de moindres taux mortalité ajustée à 30 jours, bien que les résultats sur ce point soient moins cohérents.

La discussion qui suit amène une précision très importante (p. 88) :

In analyses that test for interaction, we found that the relationship between UpToDate use and quality performance was modified by the size and teaching status. Specifically, much of the benefit of UpToDate seemed limited to small and medium-sized hospitals, as well as non-teaching hospitals.

En analysant les interactions, nous avons trouvé que la relation entre l’usage d’UpToDate et la qualité de soins était modifiée par la taille de l’hôpital et son statut universitaire ou non. Pour être précis la plus grande partie des bénéfices d’UpToDate semblait limitée aux petits et moyens hôpitaux, ainsi qu’aux hôpitaux non-universitaires.

Or dans l’échantillon considéré, les hôpitaux de petite taille sont les moins présents (13 établissements sur 1017). C’est donc pour l’échantillon le plus réduit que les résultats sont statistiquement les plus probants. Pour la majorité des hôpitaux considérés, le résultat n’autorise pas de conclusion nette sur la question de la mortalité.

La base UpToDate sauve-t-elle assez de vies pour justifier un abonnement ?

Voici la conclusion de l’article sur l’impact potentiel de l’utilisation SI tous les hôpitaux non abonnés en tiraient un bénéfice équivalent en terme de mortalité (« if non adopters had a similar benefit in mortality », le conditionnel est important)

While the added advantage of having UpToDate appeared to be a reduction in mortality of only 0.1 % (over all conditions), such a difference would be associated with approximately 5550 fewer deaths each year among Medicare fee-for-service beneficiaries. Wether such a benefit would be worth the cost of implementing systems like UpToDate needs to be further explored.

L’amélioration apportée par UpToDate étant apparemment une réduction de mortalité de 0,1 % seulement (pour l’ensemble des pathologie), une telle différence serait associée à environ 5550 morts annuelles en moins parmi les bénéficiaires payants de Medicare. Savoir si ce bénéfice vaudrait le coût représenté par l’implantation de systèmes comme UpToDate nécessite un plus ample examen.

Avant de crier que les scientifiques américains sont des sans-cœurs qui ne pensent qu’à l’argent au risque de sacrifier des vies humaines, rappelez-vous que nous parlons de risque statistique, et jetez un œil sur cet article paru en 2004 : il proclame, en renvoyant à une étude parue dans le JAMA, que « les erreurs médicales causeraient jusqu’à 195 000 morts à l’hôpital chaque année [aux États-Unis]. » Et de conclure :

“If we could focus our efforts on just four key areas – failure to rescue, bed sores, postoperative sepsis, and postoperative pulmonary embolism – and reduce these incidents by just 20 percent, we could save 39,000 people from dying every year,” said Dr. Collier.

« Si nous pouvions concentrer nos efforts sur seulement quatre facteurs : les complications mal traitées (failure to rescue**), les escarres, l’infection post-opératoire et l’embolie pulmonaire post-opératoire, et réduire ces incidents ne serait-ce que de 20 %, nous pourrions sauver 39 000 personnes chaque année », a déclaré le Dr Collier.

Il semblerait donc y avoir des moyens plus radicaux de réduire le taux de mortalité hospitalière que d’acheter la base de données UpToDate. D’où la conclusion apparemment un peu abrupte des auteurs.

[** à noter : failure to rescue recouvre une notion bien identifiée dans les pays anglophones, mais qui n’a pas d’équivalent en France à ce jour, et qui pourrait se traduire par « décès après une complication mal traitée » ; la mortalité liée à ce problème fait l’objet de très nombreuses études dans la littérature scientifique anglaise et américaine ; je remercie les médecins qui m’ont éclairé sur cette question.]

« 11500 vies sauvées en deux ans »

Comment les résultats de l’étude ont-ils été traduits dans la communication de l’éditeur ?

Voici la source

[p. 85] Conclusion : We found a very small but consistent association between use of UpToDate and reduced length of stay, lower risk-ajdusted mortality rates, and better quality performance, at least in the smaller, non teaching institutions. These findings may suggest that computerized tools such as UptoDate could be helpful in improving care.

« Nous avons trouvé une corrélation très faible mais cohérente entre l’utilisation d’UpToDate et une durée de séjour plus réduite, un plus faible taux de mortalité ajustée au risque, et une meilleure qualité de soin, au moins dans les institutions de petite taille et non universitaires. Ces résultats suggèrent que les outils informatisés comme UptoDate pourraient être utiles pour améliorer les soins.”

Voici ce qu’on lit sur le site d’UpToDate (consulté le 3/12/2012)

New Study by Researchers at Harvard Reveals Hospital Adoption of UpToDate directly associated with saving lives. Research supports criticality of having UpToDate at the point of care. UpToDate hospitals demonstrated:

  • Lower mortality – 11,500 lives saved over a three-year period
  • Shorter lengths of stay – 372,500 hospital days saved per year
  • Improved hospital quality – better quality performance for every condition on the Hospital Quality Alliance metrics

“Une nouvelle étude menée par des chercheurs de Harvard révèle que l’adoption d’UpToDate par les hôpitaux est directement associée à des vies sauvées. Cette recherche illustre qu’il est important d’avoir UptoDate sur le lieu des soins. Les hôpitaux ayant UptoDate ont montré :

  • une mortalité inférieure : 11500 vies sauvées en trois ans
  • des séjours plus brefs : 372000 jours d’hospitalisation épargnés chaque année
  • une meilleure qualité de soin… »

Mon avis est que les deux premières informations chiffrées relèvent de l’extrapolation tendancieuse. Au minimum. Mais chacun se sera fait son idée en me lisant, et pourra corriger ou appuyer ma propre appréciation en allant lire l’article. Il est bref.

Disclosure

Pourquoi consacrer un si long billet à une base sans importance pour les BU ?

L’an dernier à pareille époque, l’inflation annoncée (près de 7 %, de 17100 $ à 18240 $) m’a paru très excessive et dépourvue de justification. Après m’en être étonné auprès du commercial et avoir discuté avec le CHU, j’ai informé l’éditeur que nous ne nous ne nous abonnerions pas à ce tarif, dans l’espoir – ne riez pas, s’il vous plaît – d’engager une négociation. Il ne m’a pas répondu. En revanche, il a signifié à l’ensemble des praticiens, par un envoi général non nominatif :

Nous avons le regret de vous informer que le renouvellement de l’abonnement du CHU de Clermont-Ferrand à UpToDate (www.uptodate.com/online) n’a pas été validé par votre « Département de la Documentation Electronique Bibliothèque Clermont Université – Bibliothèque numérique » et que votre accès depuis tous les postes informatiques cessera donc automatiquement à la fin de ce mois. Nous espérons que vous avez été toutes et tous satisfait(e)s des informations apportées et vous prions de bien vouloir trouver ci-dessous deux liens : l’un vers l’annonce faite à la presse de la disponibilité de la Chirurgie depuis le mois dernier, l’autre vers le Wall Street Journal (du 16 Novembre 2011) à la suite de la publication d’une étude indépendante démontrant l’impact de UpToDate sur la qualité des soins apportés aux patients, et l’impact économique pour les hôpitaux (américains) abonnés par rapport à ceux qui ne le sont pas. – http://www.businesswire.com/news/home/20111109005460/fr ; http://blogs.wsj.com/health/2011/11/16/a-little-electronic-help-for-doctors-helps-hospitals-study-shows/[…]

Je ne détaille pas la suite. Après un essai manqué de négociation, nous avons renoncé à l’usage d’UpToDate pendant deux mois, pour le reprendre ensuite avec une facture au pro rata, ménageant notre budget. J’ai conclu de cette mésaventure qu’il est difficile de négocier ce genre de ressource. Pourquoi ? Sans doute parce que c’est une ressource pour les hôpitaux, et que les hôpitaux n’ont ni consortium ni culture de la négociation documentaire (ce n’est pas une attaque : ils ont beaucoup à faire, j’en suis conscient). De fait, UpToDate relève plus de l’outil médical que de la ressource documentaire. Mon interlocuteur chez l’éditeur a-t-il donc été choqué qu’un bibliothécaire puisse faire obstacle au renouvellement du contrat ?

Je ne sais pas encore si Clermont s’abonnera à UpToDate en 2013. La décision ne m’appartient pas, et du reste la dépense est ténue pour la BU. Mais évaluer l’argumentaire de l’éditeur permet au moins de prendre une décision plus éclairée. Le reste appartient au CHU, à tous les CHU, s’ils souhaitent un jour entamer une négociation avec cet éditeur ou d’autres.

Je ne me permets pas de remettre en question la qualité du contenu d‘UpToDate. Mais son prix, si. Si véritablement cette base sauve des vies, maintenir son coût et son inflation dans des bornes étroites est le meilleur moyen d’aider la médecine à servir le patient.


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